LOWER DECK CARDS L’art de détourner l’imagerie du Hobby

Rencontre avec John Perry – Lower Deck Cards

John Perry vit aux Etats-Unis à Rochester (NY). La journée, John est professeur. Il enseigne depuis 20 ans en milieu scolaire auprès d’enfants de 8 à 12 ans. La nuit, il consacre son énergie à ses créations, identifiées sous l’appellation Lower Deck Cards. John s’inscrit dans la tradition artistique du détournement d’image en utilisant des trading cards. Si son support de prédilection reste la carte de sport, ses oeuvres, tout à fait singulières, sont à la fois un hommage à la pop-culture et au Hobby.

John, comment et quand est née l’idée de détourner les images de trading cards ? À quoi ressemblait ta première réalisation ?

Lower Deck Cards a commencé officiellement en 2018. Notre premier post sur Instagram date du 31 juillet 2018 pour être exact. L’idée d’origine n’est pas vraiment de moi. Un ami, originaire de Baltimore, a eu l’idée de travailler sur de veilles photographies. Il a convoqué un groupe d’artistes et les a fait travailler tous ensemble. Nous avons pensé à de vieilles photographies mais nous ne savions pas si ce serait le meilleur support sur lequel travailler. Puis est venue l’idée des vieilles cartes de baseball. Le projet initial consistait à envoyer un set de 5 cartes à 8 artistes différents, moi y compris. Nous étions libres de faire ce que nous voulions, mais nous avons décidé de travailler sur les zombies parce que c’était à peu près à l’époque où la série The Walking Dead était devenue très populaire. Tout le monde a reçu ses cartes, les a photographiées, et les a renvoyées. L’idée était de créer une page Instagram pour partager notre travail et éventuellement vendre. À l’origine, j’ai réalisé les cinq cartes à la gouache car j’essayais de travailler avec une matière qui adhérait et qui me permettrait de composer avec l’image existante.

Ma première carte était une version zombie d’Andy Hassler sur une carte Topps de 1977. Après avoir terminé le set de 5 cartes, j’ai acheté un tas de cartes sur Ebay et j’ai continué. C’est vers la dixième carte que je suis passé de la gouache à l’acrylique, puis le vrai plaisir a commencé. J’avais l’habitude de faire des peintures photo-réalistes à l’acrylique et je savais comment manipuler la peinture, superposer les couches, mélanger les couleurs, etc. donc c’était assez naturel de revenir à l’acrylique.

Peux-tu nous parler des différentes étapes de ton processus de création ?

LowerDeck Cards est une petite entreprise d’une seule personne. Je peins des images directement sur de vieilles cartes de sport. Ça va du baseball au football, en passant par le basketball et le hockey. Ce que j’essaie de faire, c’est de piocher des images de bandes dessinées, de dessins animés, de films, de musiciens, et plus généralement, d’un grand nombre de personnages qui réveille en nous une certaine nostalgie, de les peindre sur la carte, et que ces personnages s’adaptent à la carte ou à la pose. J’ai grandi dans les années 1970 et 1980, il y a une tonne de références à cette période à exploiter. L’idée est d’ajouter un graffiti, comme lorsque vous dessinez une moustache sur une personne sur une publicité papier. La plupart d’entre-elles sont simplement destinées à être drôles et à amener les gens à réagir d’une manière telle que « Oh, je m’en souviens ! ».

Toutes les cartes sont faites à la peinture acrylique, mais parfois j’utilise des stylos Micron et Gelly Roll pour des détails super minuscules. Au début, j’utilisais la gouache, mais l’acrylique adhère mieux à la carte.

Mon processus consiste, dans un premier temps, à rechercher des images. J’ai une énorme page sur Pinterest où je collectionne uniquement des images qui pourraient potentiellement devenir des cartes. J’essaie d’en faire quelques-unes par semaine et quand j’ai plus de temps, j’en fais plusieurs par jour pour que je puisse publier régulièrement sur Instagram et garder mes pages à jour. Une fois que j’ai choisi une image, je cherche dans toutes mes cartes pour choisir des candidats avec lesquels cela pourrait fonctionner. J’essaie de prendre en considération l’origine d’une personne ou d’un personnage. Par exemple, j’ai récemment peint le rappeur Biggie. Étant donné qu’il est de New York, je me suis assuré qu’il soit peint sur une vieille carte des Yankees.

Une fois que j’ai une pile de quelques cartes, je les regarde simplement avec mon idée en tête et je choisis la meilleure pour réaliser cette idée. Je commence par peindre essentiellement le contour du personnage en noir, puis je le remplis. Le noir aide à créer une couche pour empêcher les encres de la carte de se mélanger avec la peinture. J’ai fait une carte Gene Simmons il y a des années et j’ai commencé avec du blanc pour la préparation. Une fois la carte sèche, le blanc était rose. J’ai continué à ajouter des couches de blanc et peu importe combien de fois je le faisais, l’encre en dessous se mélangeait à la peinture et elle restait rose. L’utilisation du noir en premier a aidé à résoudre ce problème.

Une fois que le noir est appliqué et sec, je continue à ajouter des couches de couleurs jusqu’à ce que la carte soit terminée. Les cartes peuvent me prendre de 30 minutes à plusieurs heures selon les détails.

Lorsque je les publie, je scanne généralement mes cartes, puis je les photoshop afin que le nom de la personne ou du personnage corresponde et j’ajoute le logo Lower Deck Cards. 

Quelles sont tes cartes de prédilections sur lesquelles tu aimes travailler ?

Je préfère les anciennes cartes parce qu’on y retrouve des gros plans de joueurs. La plupart des nouvelles cartes se concentrent sur l’action du jeu. Les nouvelles cartes sont vraiment sympas, mais les joueurs deviennent trop petits pour être manipulés. Il y a quelques cartes plus récentes que j’ai faites où je me suis bien amusé avec le joueur. Par exemple, la carte Topps de Kevin Kiermaier de 2018. Dans la carte, il saute près de la barrière de la limite du terrain pour attraper une balle. La pose et ses mains jointes m’ont rappelé une ballerine, alors j’ai juste peint un tutu rose sur lui et j’en ai fait une ballerine. Celle-la me fait encore rire, j’espère qu’il n’est pas vexé ?!

Pour les anciennes cartes, c’est le format, les anciennes bordures et les polices qui sont intéressants. Les cartes qui ont ce look vintage sont celles que j’aime le plus. Beaucoup de cartes sur lesquelles je travaille sont abîmées avec des plis et des coins cornés, elles n’ont donc aucune valeur réelle. La majorité des cartes sur lesquelles je travaille sont des joueurs ordinaires, je ne peins pas sur une carte rookie de Michael Jordan. Je ne fais que recycler et ajouter un petit plus à quelque chose qui est resté dans une boîte à chaussures pendant cinquante ans.

On ne peut pas vraiment dire que tes créations soient des sketch cards ni simplement des peintures mais plutôt des oeuvres hybrides. Comment définirais-tu ton travail ?

Mon travail consiste à produire des altérations, peintes à la main. Je travaille avec l’image existante et je la modifie simplement. Mon objectif est de rendre ça le plus réaliste possible. Ce que de nombreuses personnes, qui ont vues mes images, m’ont dit, c’est que les cartes ont l’air tellement mieux une fois passées entre mes mains. Je pense que les gens qui ont vu les cartes ne réalisent pas ce que cela peut donner jusqu’à ce qu’ils les voient. C’est toujours un plaisir de voir les personnes regarder, puis se rapprocher, et secouer la tête avec incrédulité. C’est aussi génial quand les gens rient en regardant mon travail, souvent je fais la même chose quand elles sont terminées.

Utilises-tu la trading card comme outil pédagogique avec tes élèves ?

Je ne fais pas de projets avec eux autour des cartes. À leur âge, ils ne sont pas capable de travailler sur un support à cette échelle. Je leur montre néanmoins les cartes et leur parle de Lower Deck Cards. J’ai aussi un tas d’affiches accrochées dans la classe. Je leur présente généralement un diaporama à l’approche des vacances quand j’ai terminé un projet et que je ne veux pas en commencer un autre avec une semaine de pause entre les deux. C’est généralement assez bien accueilli et quelques élèves ont déjà peint sur des cartes à la maison et les ont apportées. C’est arrivé qu’on me demande d’en peindre quelques-unes pour des élèves, mais si j’en fais une, je devrai en faire pour tout le monde et j’enseigne à plus de 400 étudiants, alors malheureusement, je dois refuser.

Es-tu un collectionneur de trading cards ? As-tu un set favori ?

Je ne suis pas un collectionneur de cartes de sport. J’en avais quand j’étais plus jeune. C’était un hobby que je partageais avec mon père. Je collectionnais des comics comme tout enfant, j’en ai encore quelques-uns. Mes cartes favorites sont les Topps Baseball de 1971, j’adore les bords noirs sur celles-ci, et les Topps Football de 1975, que j’aime également beaucoup. Dans les deux cas, ces cartes d’époque sont composées de gros plans de joueurs, ce qui crée un espace idéal pour faire ce que je fais sans devenir fou avec les dimensions.

Dans le cadre d’un projet, tu as utilisé des cartes éditées par Fright Rags. N’as-tu jamais essayé de retravailler sur d’autres cartes de séries tv ou de films ?

Fright Rags est basé à côté de chez moi, alors je leur avais proposé de faire une collaboration. C’était amusant d’essayer un style différent de carte. J’en ai aussi quelques-unes comme le golf, le catch, les cartes Desert Storm, et même le cricket et le football. Je devrais en faire plus et ce sont parfois des cartes vers lesquelles je me tourne quand je suis coincé et que je ne sais pas quoi faire. Ce type d’images peut conduire à des idées différentes et m’amener à changer certaines choses.

Quand on lit « Lower deck », on pense tout de suite à la société Upper Deck. Est-ce que cette opposition dans les termes signifie quelque chose ?

« Lower Deck » est évidemment un jeu de mots avec « Upper Deck ». L’idée provient du Lowbrow art. Depuis la fin des années 1990, années 2000, à nos jours, tu as toujours eu ces artistes qui ont une approche d’illustrateur avec leur travail. Certaines institutions artistiques bien établies considéraient leurs œuvres comme un art mineur au regard de ce que les grands maîtres avaient fait auparavant. Il a été méprisé d’une certaine manière et le terme de « Lowbrow » a été créé pour décrire leur travail. Cela s’est en quelque sorte retourné contre eux parce que ces artistes ont adopté et conservé ce terme pour identifier leur mouvement. C’est plus une esthétique punk rock, underground si tu veux. Upper Deck est le standard haut de gamme et Lower Deck est le standard « Lowbrow ». Encore une fois, c’est de l’ironie, je ne me prends pas trop au sérieux. Je ne pense pas que Lower Deck Cards change le monde, mais si cela vous fait rire ou vous fait dire « WOW! », alors ça me va. 

As-tu déjà été contacté par une entreprise de l’industrie des trading cards pour un projet particulier ?

Non… il y a pourtant des projets bien particuliers qui y ressemblent terriblement… je me demande où ils ont trouvé l’idée ? Hahaha !

L’actualité autour du Hobby t’intéresse-t-elle ou pas du tout ?

Je ne suis pas intéressé par la collection, mais je la respecte. Comme je l’ai mentionné plus tôt, je ne peindrai pas sur une carte qui a de la valeur. Je ne suis pas intéressé par la destruction, je suis juste intéressé par la réutilisation. Ce serait intéressant de s’installer lors d’une exposition de mes cartes et de voir quelle serait la réaction du public à ce que je fais actuellement. 

À la fin des années 1980, Michael Gershman, spécialiste des cartes de sport, identifie une catégorie de collectionneurs qu’il nomme « the twilight zone » et dont les pratiques sont définis comme « spécifiques, idiosyncratiques et défiant toute catégorisation ». Au regard de ton travail, peut-on dire que tes suiveurs et acheteurs entrent dans cette catégorie, en collectionnant des oeuvres uniques tout en restant connecté au Hobby ?

Je dirais que Lower Deck Cards tombe véritablement dans cette zone floue, je pense que mon travail véhicule beaucoup de nostalgie et je crois que c’est ce qui attire les gens. C’est une combinaison qui regroupe l’image et les cartes. Les personnes se rappellent des personnages, et je pense qu’elles se rappellent également des cartes. J’imagine que tout le monde a possédé au moins une fois dans sa vie une carte de sport ou a collectionné des cartes Pokémon, et c’est ce dont on se rappelle.

Encore une fois, c’est pour cela que je fais ça, beaucoup de ces images ont fait partie de mon enfance et c’est avec ça que j’ai développé mon travail. Alors mettre des images sur ces cartes est le meilleur moyen de retrouver les deux univers. Ça me rappelle quand tout était beaucoup plus simple.

Un mot pour la communauté des collectionneurs français ?

C’est la première interview pour Lower Deck Cards en dehors des États-Unis. J’espère que les collectionneurs français trouveront un certain intérêt dans ce que je fais ou du moins apprécieront simplement de fait de regarder et de rire. Vous pouvez voir mon travail et mes mises à jour hebdomadaires sur Instagram @Lowerdeckcards et vous pouvez également retrouver toutes les cartes sur www.lowerdeckcards.com. Merci du fond du cœur !

Entretien réalisé par Jérôme Rigaud

Avril 2023

N’hésitez pas à partager cet article et à le commenter pour donner votre avis. Vous pouvez également vous abonner aux pages Facebook et Twitter et Instagram, mais également à la chaîne YouTube de US Sports Fans Cards. Vous pouvez aussi contribuer en partageant les articles. US Sports Fans Cards n’existe que grâce à ses contributeurs, on compte sur vous pour faire vivre notre passion!

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*